J’étais arrivé en avance à la Gare du Nord. J’ai vérifié l’horaire de mon train, puis me suis éloigné chercher un bistrot dans une ruelle pour être plus au calme. J’ai commandé un café en terrasse, sorti mon cahier, un stylo, et allumé un Toscano. Un type s’est assis à la table à côté. Son visage émacié et ses petits yeux perçants le faisaient ressembler à Géronimo vieux. Il a déposé un cabas à ses pieds, duquel dépassait un duvet éculé. Il a sorti une myriade de pièces de monnaie d’une poche, et les a étalées sur le marbre, comme s’il misait une somme considérable au casino. Il a demandé un café crème au barman. Une fois servi, le plaisir à venir se lisait dans son regard. Il a alors seulement remarqué ma présence. Il m’a questionné sur ce que j’écrivais. J’ai répondu, un livre.
Il a voulu savoir quel genre de livre. J’ai dit machinalement qu’il s’agissait d’un livre sur la vie. Son regard s’est assombri, il a répété, « la vie », et s’est mis à parler.
Il a dit que la vie était une succession d’événements auxquels on prenait plus ou moins part, que nos choix étaient bien souvent taillés dans le tissu des remords, mais qu’on ne le savait pas quand on les faisait. Il a dit qu’il n’avait pas toujours été un vagabond, qu’il avait travaillé comme cadre dans une entreprise d’import-export, mais qu’elle avait fermé depuis longtemps. Il a dit qu’une fois au chômage, il s’était mis à boire et laissé entraîner sur une déplorable pente par de mauvaises personnes. Il a dit que sa femme l’avait quitté, qu’il avait tout perdu, et s’était retrouvé à la rue.
Il a dit que les silences entre un homme et une femme étaient des armes mortelles, et le corps d’une femme la plus puissante qu’il connaissait.
Il a dit qu’elle était très belle et qu’il ne s’était jamais remis de la séparation. Il a dit que depuis, le chant d’un oiseau était ce qu’il avait entendu de plus beau, mais qu’en ville on ne les entendait presque jamais. Il a dit qu’il avait chéri la grande épidémie qui avait réduit le vacarme au silence. Il a dit que les hommes étaient les seuls responsables du chaos et de la violence qui régnaient en ce monde. Il a dit que la colère était une putain, le diable son maquereau, et Dieu, son meilleur client.
Il a dit que le temps était un nœud coulant qui se resserrait plus ou moins lentement autour de notre cou.
Il a dit que l’éternité était inconcevable pour l’esprit, mais qu’à un moment, on rêvait pourtant tous de recommencer. Il a dit qu’on devrait toujours prévoir de quoi éteindre les feux qu’on allumait, mais qu’on laissait souvent ce soin aux autres. Il a dit qu’on apprenait plus en se trompant mille fois qu’en ayant raison une seule. Il a dit qu’à l’époque où il était devenu clochard, un homme l’avait pris sous son aile, lui enseignant tout ce qu’il y avait à savoir pour survivre, et qu’il était parti un soir, parti pour toujours.
Franck Bouysse
Les chroniques du temps présent s’inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.
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