Une bouffée venue du passé envahit les narines. À l’approche du chantier nocturne situé en Seine-et-Marne, l’«odeur SNCF» qui s’en dégage agit comme un shoot temporel. En progressant sur les traverses, après un sérieux brief sécurité, nous voici transportés à très grande vitesse dans les années 1960. Les plus de 50 ans reconnaîtraient les yeux fermés ces effluves qui imprégnaient les trains à compartiments, du temps des bidasses en permission et des casse-croûte pâté-cornichons. Un mélange de métal chaud, de graisse, de poussière de freinage et de molécules olfactives laissées par des millions de voyageurs. Des couches de vie, de sueur, d’amour, de malheur, de rêves, accumulées sur ces rails depuis des décennies.
En France, les voies ferrées sont fatiguées. Trente années de sous-investissement dans leur entretien, au profit du tout-TGV, doivent être rattrapées. Une tâche incommensurable, où les exigences de sécurité et de fiabilité dictent les priorités. En Île-de-France, l’organisation des JO a mis un gros coup de pression.
Avec ses 3,5 millions de voyageurs quotidiens, le réseau francilien se classe derrière Tokyo, mais devant Londres
À la sortie de la gare de Melun, les appareils de voie vieillissants sont en cours de renouvellement. Soit un budget de 7,9 millions d’euros pour un mois de travaux sur quelques centaines de mètres, avec des ouvrages techniques à changer, dont un aiguillage et des sections de caténaires. Presque une peccadille dans l’enveloppe de 800 millions d’euros désormais investis chaque année par SNCF Réseau (ex-Réseau ferré de France) pour l’exploitation et la maintenance à l’échelle nationale.
Avec ses 3,5 millions de voyageurs quotidiens, le réseau d’Île-deFrance se classe, en matière de fréquentation, derrière Tokyo mais devant Londres. Deux pour cent des voies françaises concentrent ainsi 20% de la circulation et 28% des voyageurs. Une réalité qui se double d’une coactivité casse-tête entre trains de fret, RER, Transilien, Intercités, TGV, Eurostar, Thalys… Cela ne s’arrête jamais. Cette intensité de trafic engendre une tension énorme et des conditions d’intervention complexes en milieu urbain, dense et vivant.
Des pros ultra-entraînés conduisent des «opérations coup de poing», de nuit, par tous les temps et en horaires décalés
Dans cet enchevêtrement de contraintes, il faut dégager de petits créneaux pour agir, avec une programmation annuelle quatre à cinq ans en amont et une préparation au cordeau. On parle aussi, comme à Melun, d’«opérations coup de poing» menées de nuit par des pros ultra-entraînés. Beaucoup d’hommes dans ces missions physiques, qui ont lieu par tous les temps et en horaires décalés. Noémie Bonneau, 25 ans, compte parmi les rares femmes. Ingénieure en systèmes électroniques et «responsable de lots travaux», elle passe un tiers de son temps sur le terrain, les deux tiers au bureau. Elle dirige d’une main ferme dans un gant de velours une équipe de 100 collaborateurs, dont 99 sont des hommes. En ce soir de juin, ça charrie gentiment, mais c’est bien elle la boss.
Du «gratte-caillou» à l’ingénieur, les équipes sont à pied d’œuvre, concentrées sur leur tâche. Les mesures de sécurité imposées aux équipes sont drastiques. Signalé sur tous les plannings, le chantier est aussi protégé physiquement, en amont et en aval, par des SAM, «signaux d’arrêt à main», interdisant l’accès. Ils se matérialisent de jour par des drapeaux rouges plantés dans le ballast, la nuit, par des lumignons. Autour de nous, quelques trains continuent de circuler.
Dans la lumière rasante du couchant, les silhouettes orange fluo s’activent, la pelleteuse fait des va-et-vient. En tronçonnant un rail, la scie circulaire envoie des gerbes d’étincelles. Le son strident du disque sature les tympans et fait serrer les mâchoires. Des forçats du rail, barre à mine entre les mains, soulèvent le lourd ruban d’acier, disposent l’ouvrage, au centimètre près. Des gestes d’un autre siècle, mais indispensables. Car malgré une préparation précise en usine, les pièces une fois posées doivent s’adapter aux évolutions du terrain. Une voie, ça vit. Le ballast se tasse, les rails se dilatent, se rétractent au gré des températures, la terre bouge. Malgré tous les calculs savants et l’anticipation, ça se passe rarement comme prévu. D’où la capacité de réagir au quart de tour, d’ajuster un perçage, de modifier un branchement. Dans ce gigantesque Meccano, l’intelligence humaine est reine.
L’accident de Brétigny-sur-Orge, qui a fait sept morts et quelque 400 blessés, reste un traumatisme pour les cheminots. Plus jamais ça
Sur cette portion, au milieu de six voies courant en parallèle depuis la gare de Bercy et la gare de Lyon vers Clermont-Ferrand, notamment, le trafic a été dévié pour quelques heures seulement. Le chrono défile. À 4h50 demain matin, il faudra «rendre cette section à la circulation», avec le moins d’incidence possible sur la ponctualité.
À quelques semaines des JO, les derniers travaux de «régénération», dans le langage technique, sont en cours. Durant l’événement, ils seront exceptionnellement neutralisés, alors que l’été concentre traditionnellement l’activité. La saison est la plus favorable: moins de «mass transit », meilleure météo, journées plus longues. En région parisienne, le réseau SNCF doit être prêt et fiable pour transporter les visiteurs, desservir les sites de compétition avec des pics de fréquentation inédits. Par exemple, +100% de passagers en gare de Vaires-sur-Marne, pour accéder au stade nautique de canoé. Séverine Lepère, directrice adjointe SNCF réseau Île-de-France, détaille l’enjeu: «On a estimé les quais trop étroits. Il a fallu modifier la desserte et les flux piétons et programmer plus de trains.» Des séries de simulations ont été effectuées selon le calendrier des épreuves fournies par le CIO, et, à la mi-juin, 98% des scénarios envisagés étaient fiabilisés. L’évacuation d’un train dans un tunnel du RER E a été testée, parmi la centaine d’exercices menés conjointement avec la RATP.
L’entreprise se prépare depuis cinq ans avec une accélération notable du calendrier ces derniers mois. Pas question d’échouer, alors que le Grand Paris Express, qui permettra de relier les banlieues parisiennes entre elles sans passer par la capitale, n’a pas encore été livré. Cette extension du métro avait pourtant pesé dans l’attribution des JO. L’existant va devoir tout supporter, il a fallu mettre les bouchées doubles. D’autant que les équipements ne sont pas toujours de première fraîcheur. En 2013, l’accident de Brétigny-sur-Orge avait sonné le tocsin. Sept morts et quelque 400 blessés pour une éclisse défaillante, non remplacée, ayant entraîné le déraillement de l’Intercité Paris-Limoges. La SNCF a été reconnue responsable devant la justice. Un traumatisme qui a marqué profondément les cheminots. Plus jamais ça. «Il y a clairement un avant et un après Brétigny», reconnaît Christophe Mongaillard, chef de projet chargé du chantier de Melun. «Et depuis sept-huit ans, on rattrape trente ans de retard», résume Claire Pardo, communicante chez SNCF Réseau.
Un train usine très performant mais au coût pharaonique: 8 000 euros… la minute
Au titre des récentes et grandes modernisations, on compte l’infrastructure de la gare du Nord. «Le chantier de l’année ! » pour Christophe Mongaillard, avec quarante-trois appareils de voie renouvelés, la mise en conformité des caténaires. Pour orchestrer la circulation, apporter l’information en direct, le plus grand centre de commandement de France a été mis en service en 2022. Situé à Pantin, aux portes de Paris, ce bunker sans fenêtre compte parmi les sites ultrasensibles et hypersécurisés. Sur un plateau de 1300 mètres carrés, dans une salle grande comme un hall de gare, les aiguilleurs du rail travaillent en 3/8 face à des murs d’écrans. Le temps s’affiche en secondes sur les horloges numériques. Ici, on gère les flux Est-Ouest, on réagit aux incidents, parfois aux accidents. Les agents ont en mémoire des scénarios écrits pour réorganiser le trafic. Toutes les annonces diffusées par haut-parleurs dans les gares supervisées partent de leurs téléphones, et ils peuvent visionner les images de n’importe laquelle des 10000 caméras de surveillance du réseau Transilien.
À Melun, la nuit est tombée. De puissants projecteurs éclairent la scène comme sur le tournage d’un film. Les hommes ont allumé leur lampe frontale, l’équipe se déplace comme une nuée de lucioles. Après le remplacement des traverses, la pose des nouveaux appareils, le boulonnage à cadence industrielle, les passages de câbles électriques de la commande d’aiguillage, on attend la «bourreuse». Cette machine aménagée sur un train sert à comprimer la couche de nouveau ballast grâce à des pioches métalliques vibrantes. Comme le train usine, qui, lui, retire et réinstalle les voies en un seul passage, elle semble sortie d’un univers à la «Mad Max».
Dans cette autre bataille du rail, les hommes travaillent désormais avec ces technologies extraordinaires. Elles permettent d’accélérer la rénovation du réseau, tout en soulageant des tâches les plus pénibles. Ainsi, un train usine remplace dix fois plus vite un morceau de voie qu’une «méthode traditionnelle». Une performance qui a un coût pharaonique : 8 000 euros… la minute. Un chiffre à méditer au moment d’acheter les billets.
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