A la gare de Hunchun, un écran géant montre une vue du ciel de la langue de terre descendant le long de l’estuaire du fleuve Tumen, à l’extrémité nord-est de la Chine, là où elle rencontre la Russie et la Corée du Nord. Un slogan dit les espoirs de la région : « Le chant des oies sauvages entendu dans trois pays, le cri du tigre résonne sur trois frontières, les fleurs éclosent chez trois amis, des sourires sur les visages de trois nations. »
Ici, la géopolitique détermine les opportunités, et ce coin tout au bout du territoire de la deuxième puissance mondiale voudrait que l’actuel retournement lui profite. Xi Jinping s’est lié à Vladimir Poutine dans le combat contre la domination occidentale, apportant à Moscou le soutien économique nécessaire à la poursuite de sa guerre en Ukraine.
Isolée à l’Ouest, la Russie ne peut que se tourner vers l’Est, même si la guerre a aussi affecté le pouvoir d’achat des Russes, et donc les affaires de Shao Yue, qui tient une boutique d’alcool, de produits alimentaires des deux pays et de souvenirs. « Avant, les Russes venaient à Hunchun s’habiller de la tête aux pieds, ils ne négociaient même pas, maintenant ils ont moins d’argent », constate derrière sa caisse cette femme aux cheveux mi-longs, en sweat rose.
L’amitié toujours plus vive entre la Chine et la Russie, qu’illustre la visite de Vladimir Poutine à Pékin et à Harbin les 16 et 17 mai, n’efface pas tout ici. L’amertume historique des provinces du Nord-Est chinois se retrouve dans cette formule qui revient souvent dans les discussions à Hunchun : « Si on avait la mer. »
Impossible d’oublier les traités inégaux imposés par les grandes puissances à la dynastie Qing affaiblie au XIXe siècle. L’Etat chinois rappelle souvent à sa population les souffrances aux mains des Japonais, l’impérialisme des Français et les Anglais saccageant le Palais d’été. Mais ici, le couloir reliant la Russie à la péninsule coréenne, profond d’une quinzaine de kilomètres et bloquant l’extrême Est de la Chine du front maritime est dans toutes les têtes. Les habitants peuvent humer l’air marin, mais ne voient pas les vagues.
« Si on avait la mer »
Jusqu’au traité léonin d’Aigun, en 1858, ce qui aujourd’hui est Vladivostok était en terre chinoise. Le grand port russe est à deux heures de route, auxquelles s’ajoutent parfois deux heures pour passer les douanes. Les habitants de Hunchun y ont pour la plupart déjà mis les pieds et ils savent donc aussi que l’essentiel de la Russie est plutôt encore tournée vers l’Europe. « Si on avait la mer, ce serait bien plus dynamique par ici », commente donc Shao Yue. « Tout ça, ce sont des trucs historiques, mais tout le monde y pense », dit un autre commerçant de la ville.
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