L’incroyable histoire de la petite gare de Kerauzern à Ploubezre

« Il arrive ! » « Il monte ou il descend ? » Même trente ans après la fermeture de la gare, la magie opère toujours lorsqu’un train franchit Kerauzern à Ploubezre. Si aujourd’hui, plus aucun train ne s’arrête dans cette ancienne petite gare, située à mi-chemin entre Lannion et Plouaret, ce fut pourtant le cas pendant près de 112 ans, de 1881 (*) à 1993.

Seulement, dans les années 1870, alors que le projet de ligne ne se trouvait qu’au stade de la réflexion, un tout autre tracé était envisagé. On prévoyait un arrêt non pas à Kerauzern, mais à Tonquédec. Le chemin de fer devait également traverser la propriété de Kergrist.

Un accord resté dans les mémoires

C’était sans compter sur le poids d’un certain Charles Huon de Penanster, alors député des Côtes-du-Nord mais aussi propriétaire des manoirs de Kerauzern et Kergrist. Il usa de son influence afin d’obtenir un arrêt à Kerauzern tout en évitant les terres de Kergrist.

Le châtelain et la Compagnie des chemins de fer trouvèrent un accord, aujourd’hui encore présent dans les mémoires : le député s’engageait à céder gracieusement ses terres, en échange, tous les trains devaient s’arrêter en gare de Kerauzern durant cent ans.

« Le matin, je montais dans le train de 7 h 40 »

L’arrivée du chemin de fer bouleversa la vie de la population des alentours. « Nous vivions au rythme des trains », se souvient Maryvonne Rolland. Les terres de la ferme familiale, où elle réside toujours avec son mari François, sont coupées par les rails. « À l’époque, si nous voulions franchir le passage à niveau, nous devions tirer sur la sonnette pour demander l’ouverture des barrières », raconte François Rolland. « Parfois, ça pouvait prendre du temps ! Surtout si le garde-barrière était parti boire un jus au café (rires). »

Dans les années 1960, Jean-Yves Le Loarer prenait le train tous les jours à Kerauzern pour se rendre au collège à Lannion. « Le matin, je montais dans le train de 7 h  40. Le soir, je prenais celui de 18 h 40 », se rappelle-t-il encore.

M. Leizour, le négociant de Kerauzern

Lorsque les trains de marchandises s’arrêtaient en gare de Kerauzern, les enfants du coin étaient toujours très curieux de découvrir ce que contenaient les wagons. « Au mois de mai, on voyait des trains chargés de patates remonter de Lannion », se rappelle Maryvonne Rolland. « Les wagons transportaient aussi des engrais et des tracteurs neufs », complète François Rolland.

Pendant l’hiver, des trains chargés d’oranges arrivaient aussi à la gare où les grossistes de Lannion venaient les récupérer. À Kerauzern, il y avait un négociant en produits agricoles, M. Leizour, qui avait une large clientèle.

La gare de Kerauzern, de retour sur le devant de la scène

Lorsque le dernier train s’arrêta à Kerauzern, en 1993, la ligne n’était quasiment plus empruntée par les voyageurs car concurrencée par le trafic routier. Le dernier chef de gare, André Helleu, avait quitté les lieux vingt ans plus tôt. Au fil des ans, le quai de la gare est supprimé ainsi que les deux autres voies.

Pourtant, après trente ans de sommeil, la petite gare de Kerauzern revient aujourd’hui sur le devant de la scène : dans le cadre des négociations menées entre Lannion-Trégor Communauté (LTC) et la Région afin de renforcer le cercle ferroviaire, la possibilité de créer une voie d’évitement à Ploubezre a été évoquée. Elle permettrait de faire circuler deux trains dans chaque sens sur la ligne. « Nous avons obtenu de la Région un soutien financier pour mener l’étude », avait déclaré Gervais Egault, président de LTC, lors de ses vœux en début d’année.

* Année d’ouverture de la ligne Lannion-Plouaret.